27/04/2025
René Char, Rougeur des Matinaux
III. Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.
IV. Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu. Il chante avant de s’envoler.
VI. Allez à l’essentiel : vous n’avez pas besoin de jeunes arbres pour reboiser votre forêt ?
IX. . Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don.
XX. Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.
René Char, Rougeur des Matinaux, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 328, 330, 330, 331, 333.
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26/04/2025
René Char, Le Consentement tacite
Les lichens
Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée, les haleines secrètes, les plantes sans mémoire. La montagne se levait, flacon empli d’ombre qu’étreignait par instants le geste de la soif. Ma trace, mon existence se perdaient. Ton visage glissait à reculons devant moi. Ce n’était qu’une tache à la recherche de l’abeille qui la ferait fleur et la dirait vivante.
Nous allions nous séparer. Tu demeurerais sur le plateau des arômes et je pénètrerais dans le jardin du vide. Là, sous la sauvegarde des rochers, dans la plénitude du vent, je demanderais à la nuit véritable de disposer de mon sommeil pour accroître ton bonheur. Et tous les fruits t’appartiendraient.
René Char, Le Consentement tacite, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 316-317.
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25/04/2025
René Char, Le Poème pulvérisé
Marthe
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pourrai-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en amour une anémone géante.
Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif du jardin. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable.
René Char, Le Poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 260.
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24/04/2025
René Char, Feuillets d'Hypnos
41
S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de l’ennui, le cœur s’arrêterait de battre.
46
L’acte est vierge, même répété.
59
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.
62
Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.
83
Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
René Char, Feuillets d’Hypnos, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1981, p. 185, 186, 187, 190, 193.
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23/04/2025
René Char, Dehors la nuit est gouvernée
Dent prompte
5
Comme midi fume un verre
Tout ce que j’aimais a fléchi
Tangible anodin familier
Un visage que je ressentais teneur d’arène
Un corps qui glaçait les dents du vent
Quelques voix festivales plus adroites que la création
Une parole d’immunité où s’empêtre toute audace
Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la solitude
À son guidon décoré de poussière
À son belvédère aux marches d’escalier accablant.
René Char, Dehors la nuit est gouvernée, dans
Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p.119.
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22/04/2025
René Char, Les Loyaux Adversaires
Chaume des Vosges
Beauté, ma toute droite, par des routes si ladres,
À l’étape des lampes et du curage clos
Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre,
Ma vie future c’est ton visage quand tu dors.
René Char, Les Loyaux adversaires, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1983, p. 239.
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15/03/2024
René Char, Chants de la Balandrane
Ma feuille vineuse
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de cette flotte composée d’unités rétives, et le temps d’un grain, son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés.
*
J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres. Dans mon dos l’horizon tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun des roseaux avec le marais placide. L’hiver favorisait mon sort. Les bûches tombaient sur cet ordre fragile maintenu en suspens par l’alliance de l’absurde et de l’amour. Tantôt m’était soufflé au visage l’embrasement, tantôt une âcre fumée. Le héros malade me souriait de son lit lorsqu’il ne tenait pas clos ses yeux pour souffrir. Auprès de lui, ai-je appris à rester silencieux ? À ne pas barrer la route à la chaleur grise ? À confier le bois de mon cœur à la flamme qui le conduirait à des étincelles ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées et je ne connais pas les convulsions du compromis.
René Char, Chants de la Balandrane, Gallimard, 1977, p. 16 et 23.
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14/03/2024
René Char, Retour amont, Chants de la Balandrane
Célébrer Giacometti
En cette fin d’après-midi d’avril 1964 le vieil aigle despote, le maréchal-ferrant agenouillé, sous le nuage de feu de ses invectives (son travail, c’est-à-dire lui-même, il ne cessa de le fouetter d’offenses), me découvrit, à même le dallage de son atelier, la figure de Caroline, son modèle, le visage peint sur toile de Caroline — après combien de coups de griffes, de blessures, d’hématomes ? —, fruit de passion entre tous les objets d’amour, victorieux du faux gigantisme des déchets additionnés de la mort, et aussi des parcelles lumineuses à peine séparées, de nous autres, ses témoins temporels. Hors de son alvéole de désir et de cruauté. Il se réfléchissait, ce beau visage sans antan qui allait tuer le sommeil, dans le miroir de notre regard, provisoire receveur universel pour tous les yeux futurs.
René Char, Retour amont, Gallimard, 1966, p. 29
Ne viens pas trop tôt
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore ;
L’arbre n’a tremblé que sa vie ;
Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.
La terre apaise sa surface
Et referme ses gouffres.
Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !
Je rêvais de toi décousant l’écorce.
René Char, Chants de la Balandrane, Gallimard, 1977, p. 55.
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02/01/2023
René Char, Chants de la Balandrane
Ne viens pas trop tôt
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore ;
L’arbre n’a tremblé que sa vie ;
Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.
La terre apaise sa surface
Et referme ses gouffres.
Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !
Je rêvais de toi décousant l’écorce.
René Char, Chants de la Balandrane,
Gallimard, 1977, p. 55.
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22/03/2020
René Char, Le Poème pulvérisé
À la santé du serpent
VII
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
XX
Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.
XIV
Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.
XXV
Yeux qui, croyant avoir inventé le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.
René Char, Le poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, édition Jean Roudaut, Pléiade/Gallimard, 1983, p. 263, 264, 266, 267.
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20/07/2019
René Char, La fontaine narrative
Le martinet
Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.
Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il touche au soleil, il se déchire.
Sa repartie est l’hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?
Sa panse est au creux le plus sombre. Nul n’est plus à l’étroit que lui.
L’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.
Il n’est pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’est toute sa présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel est le cœur.
René Char, La fontaine narrative, dans Œuvres complètes, La Pléiade / Gallimard, 1983, p. 276.
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08/04/2019
René Char,Fenêtres dormantes et porte sur le toit
Faire du chemin avec
Le poème sur son revers, femme en besogne à qui les menus objets domestiques sont indispensables. La richesse et la parcimonie.
Avant de se pulvériser, toute chose se prépare et rencontre nos sens. Ce temps de préparatifs est notre chance sans rivale.
N’incitez pas les mots à faire une politique de masse. Le fond de cet océan dérisoire est pavé des cristaux de notre sang.
Il en faut un, il en faut deux, il en faut… Nul ne possède assez d’ubiquité pour être seul son contemporain souverain.
Combien y a-t-il de nuits différentes au mètre carré ? Seul ce trouble-fête de rossignol le sait. Nous, dont c’est la mesure, l’ignorons.
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979, p. 12, 13, 15, 16, 17.
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21/12/2017
René Char, Aromates chasseurs
Sous le feuillage
Frapper du regard, c’est se dessiner dans les yeux des autres, y découvrir leurs traits modifiés auprès des nôtres, mais pour ombrer notre ceinture de déserts.
Celui qui prenait les devants s’appuya contre un frêne, porta en compte la récidive de la foudre, et attendit la nuit en désirant.
René Char, Aromates chasseurs, Gallimard 1976, p. 35.
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06/08/2017
René Char, Les voisinages de Van Gogh
Demi-jour en Creuse
Un couple de renards bouleversait la neige,
Piétinant l’orée du terrier nuptial ;
Au soir le dur amour révèle à leurs parages
La soif cuisante en miettes de sang.
René Char, Les voisinages de Van Gogh, Gallimard, 1985, p. 20.
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05/08/2017
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit
Tous partis !
On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.
La plupart des hommes sont voués à l’entrain de l’obéissance. Sitôt qu’ils découvrent ou conçoivent au loin une servitude repeinte, leur patron sera celui qui concentrera dans ses mains les ponctuelles besognes dépeçantes. Nous n’avons cessé d’assister à cela. Charme bizarre : sans renoncer à l’espoir.
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979, p. 62.
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